2000 ans d'hérésie

par
Wolfgang Wackernagel*

"Une étude approfondie de l'hérésie n'enlèvera rien aux aspects positifs du Christianisme." (W.W.)

 

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* Article publié dans:
Diogène, No. 187, Vol. 47/3,
Presses Universitaires de France (PUF),
Paris, juillet-septembre 1999, pp. 175-194.
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1) Remarques préliminaires

A l'origine, mon intérêt pour l'hérésiologie dérive de mes travaux sur l'uvre et la vie de Maître Eckhart. C'est donc dans une perspective eckhartienne, laquelle présuppose une certaine clémence, voire sympathie envers le phénomène de l'hérésie, que je vais donner ici un aperçu de "l'envers du Christianisme ", depuis les Actes de Simon Magus, "père de l'hérésie", jusqu'au tournant du second millénaire, en exposant de manière plus approfondie l'époque du Moyen ge(*1).
Qu'est-ce qu'un hérétique, qu'est-ce qu'un schismatique, qu'est-ce qu'un non chrétien? Depuis les premiers siècles de la chrétienté, ces questions ont préoccupé les Pères de l'Église, si bien que nous disposons d'une abondante littérature à ce sujet. On se trouve ici devant une situation pleine de nuances et d'une grande complexité, en sorte que chaque fois que l'on se penche en historien ou en philosophe sur cette époque, il semble nécessaire de revoir son jugement concernant tel ou tel aspect de la question. Ce n'est donc pas en "arbitre" que l'auteur de ces lignes souhaiterait se poser face à ces grandes controverses intellectuelles et théologiques qui ont eu lieu à la fin de l'empire romain. Il s'agit plutôt d'essayer de dégager quelques aspects saillants, en sachant que généralement, on ne connaîtra toujours qu'un seul point de vue, à savoir celui de l'Église, telle qu'elle s'est constituée depuis ses origines jusqu'aux conciles du quatrième siècle de notre ère.
Dans une approche qui se veut impartiale, il faudrait toujours garder à l'esprit que par définition, les hérétiques sont ceux qui ont "perdu", et il est rare que leur point de vue ne soit reconstituable autrement que par les écrits de leurs adversaires.

 

2) Le père de l'hérésie: Simon de Samarie, dit "le Magicien"

Tel est notamment le cas de Simon de Samarie, dit "le Magicien". C'est le seul hérésiarque nommé dans le premier texte biblique fondateur de l'Église chrétienne comme institution, à savoir les Actes des Apôtres, qui auraient été rédigés six ou huit décades après les événements qu'ils relatent. Le fait que, par-delà les remaniements supposés dans l'intervalle, le nom de Simon figure toujours dans les Actes, laisse supposer que l'affaire était d'importance et sans doute même d'actualité au moment de la rédaction.
En effet, tout porte à croire que ce "père de toutes les hérésies" – tel que le nomme Irénée de Lyon dans son Adversus haereses au IIe-IIIe siècle – a eu des enfants spirituels. Sans doute qu'il a laissé dans son sillage quelque "École gnostique", toujours active au moment de la rédaction des Actes, et même au-delà, puisque Hyppolyte (100-165 AD), le compare au "sombre Héraclite" et Eusèbe de Césarée (265-340 AD) voit aussi en lui le premier fauteur de toutes les hérésies.
Dans les Actes des Apôtres (8,4-25), Philippe fait sa rencontre alors qu'il vient prêcher chez les Samaritains. C'était une mission délicate que de venir prêcher en Samarie, puisque du vivant de Jésus, les Apôtres auraient reçu pour consigne d'éviter ceux qu'ils considéraient comme des étrangers: "Ne prenez pas le chemin des nations, et n'entrez pas dans une ville de Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël." (Mt 10, 6. Autre point de vue: Jn 4,1-42) On trouve ici déjà une sorte d'avant-goût d'hérésie, puisque – à en croire les exégètes – les Samaritains semblent depuis longtemps avoir été considérés comme "les parias du judaïsme"(* 2).
A ce préjugé négatif vient s'ajouter une seconde difficulté, à savoir que les Samaritains ont déjà leur propre prophète, pour lequel ils ont un immense respect: "Cet homme (Simon), disaient-ils, est la puissance de Dieu, celle qu'on appelle la Grande." (Ac 8,10) Simon de Samarie "se disait un personnage, et tous, du plus petit au plus grand, s'attachaient à lui", notamment parce que depuis longtemps "il les tenait stupéfaits par ses tours de magie" (Ac 8,9 et 11). On savait que les Apôtres convertissaient les foules en faisant des miracles, Simon procédait de manière analogue, en faisant (aux dires des Apôtres) des "tours de magie". Mais jusque-là, l'affaire n'est point d'importance, puisqu'il s'agirait simplement d'une concurrence d'un autre bord, facilement réfutable, puisque étrangère au Christianisme . Mais il s'est passé quelque chose avec Simon, qui fait qu'il n'est pas simplement quelqu'un d'une autre religion – un "magicien" comme il y en avait d'innombrables, un "faiseur de tours", quelqu'un d'un grand charisme – certes pas aussi grand que le Christ – mais qui, tout de même, réussissait à éblouir les foules. Ce qui est important, c'est que Simon s'intéresse au Christianisme , il se découvre une affinité avec Philippe, surtout avec Philippe: "Simon crut, lui aussi, et une fois baptisé, il était assidu près de Philippe, et à la vue des signes et des grands miracles qui arrivaient, il était stupéfait." (Ac 8,13).
Il y a donc clairement ici un acte de conversion. Il aurait pu y avoir une situation de concurrence – très nettement pressentie dans ce passage – et qui aurait débouché sur un simple rejet. Il aurait alors suffi d'insister sur la différence entre "miracle" et "tour de magie" pour dire que Simon est un imposteur, comme jadis les magiciens de Pharaon. Mais il se trouve que Simon se rapproche de Philippe, et même, qu'il se convertit et reconnaît en Philippe le meilleur "magicien". L'un des douze disciples du Christ. Simon crut et il se convertit. Cette étape est présentée en une seule phrase, mais il semble qu'il y a une certaine durée dans cette étape. Il était assidu près de Philippe, ce qui ne présuppose pas juste une conversion, mais qu'ils se sont fréquentés. Ils sont devenus amis. Potentiellement, Simon aurait pu devenir un nouvel apôtre. Un des Pères de l'Église.
Visiblement, Simon est un homme inspiré "il est la Puissance de Dieu" et ce qui devrait aussi le rendre sympathique aux yeux des chrétiens, c'est qu'il reconnaît l'éminence du Christ. Le fait d'être "mage" ou "magicien" (ce qui est la même chose) n'est pas une raison suffisante pour rejeter Simon, puisque les Rois Mages, venus adorer le Christ, seraient dans la même situation. En somme, Simon aurait non seulement pu devenir le Treizième Apôtre mais aussi bien le Quatrième Mage.
D'où vient-il que Simon, qui est d'abord accueilli par Philippe dans la communauté chrétienne, est soudain aussi mal vu et même férocement rejeté? La suite des Actes nous le dit: "Apprenant que la Samarie avait reçu la parole de Dieu, les Apôtres qui étaient à Jérusalem y envoyèrent Pierre et Jean." (Ac 8,14) Ces derniers n'ont manifestement pas la même sympathie pour Simon que Philippe. D'autre part, ils font quelque chose de plus que Simon et Philippe, à savoir qu'ils posèrent les mains sur les convertis pour qu'ils reçoivent l'Esprit Saint. Simon aurait alors offert de l'argent pour recevoir des Apôtres ce même pouvoir. Mais Pierre lui dit: "Périsse ton argent avec toi, puisque tu as cru acquérir le don de Dieu à prix d'argent!" (Ac 8,20) Sans doute que son ami Philippe l'aurait informé avec bien plus de douceur que telle n'est pas la bonne manière d'aborder les choses spirituelles. La violence de la réponse de Pierre laisse pressentir d'autres griefs que celui qui est ouvertement exprimé. En effet, son argument ne fonde pas Simon comme "père de l'hérésie", mais simplement comme inspirateur de la "simonie" (ce terme dérive d'ailleurs justement du même épisode). Ajoutons que ce reproche est un "classique" – en l'occurrence, il n'est pas très éloigné de celui que Socrate formula à l'encontre des Sophistes.
La réponse de Simon est somme toute assez humble: "Priez vous-mêmes pour moi auprès du Seigneur, afin qu'il ne m'arrive rien de ce que vous avez dit." Le vrai problème de Simon ne vient pas de ce qu'il faisait de la magie au lieu de faire des miracles, ni même qu'il aurait pratiqué la vénalité des choses spirituelles (reproche abondamment formulé à l'encontre de l'Église elle-même, notamment par Luther). Le vrai problème, qui fait de lui le premier des hérétiques, c'est qu'il s'est converti tout en demeurant davantage qu'un simple chrétien. Riche de son expérience personnelle, il aura sans doute fondé sa propre école, devenant ainsi le premier des chrétiens gnostiques.
Pour la suite de ce qui est raconté à propos de Simon dans la littérature patristique (Pseudoclémentines, Justin, Irénée, Hyppolite et Ambroise) il est difficile de faire la part des choses. Réalité, invention, exagération ou déformation croissante du personnage? Il y a en fait peu de figures historiques chez qui le processus de mystification négative peut être suivi de manière aussi tangible(*3). Un fascinant crescendo narratif fait que plus on s'éloigne de l'existence historique réelle, plus le portrait de Simon s'amplifie, s'enrichit de nouveaux détails pour devenir l'archétype terrifiant de toutes les hérésies.
Dans une des plus célèbres légendes, notre "Faust paléochrétien" serait allé au bordel de Tyr, où il aurait fait la connaissance d'une femme nommée Hélène. Il voit en elle une réincarnation d'Hélène de Troie – celle qui dans l'Antiquité symbolise la beauté terrestre, mais aussi la première cause de la fameuse guerre du même nom. Détail sans doute authentique: Simon voit en elle une brebis égarée et de ce fait, il l'associe au motif chrétien de la Rédemption. Exagération d'une grande portée symbolique: en s'accouplant à elle, il serait devenu "le père de toutes les hérésies". Le lupanar de Tyr symbolise la "vénalité" de Simon. L'accouplement avec une prostituée suggère le reproche de "syncrétisme", de "proxénétisme", voire de "métissage babylonien" (dont seraient justement issus les Samaritains). Le nom d'Hélène suggère l'amour d'Hellas, l'antique philosophie grecque, voire d'autres religions d'avant le Christianisme : Delphes, Dionysos, Hermès, Pythagore, Zoroastre, Mithra, néoplatonisme, astrologie, oracles chaldaïques, mystères orphiques ou égyptiens – voire quelque trace d'indo-bouddhisme, inoculé au temps des conquêtes d'Alexandre? Toujours est-il que Simon a effectivement étudié à Alexandrie, la capitale spirituelle de l'cuménisme hellénistique, où il se serait aussi initié aux pratiques de guérison magiques, notamment arabes et juives.
Simon n'est certes pas la seule figure hérétique de l'ère paléochrétienne. Dans une étude approfondie, il faudrait encore citer la philosophie religieuse des mouvements gnostiques, notamment celle de Valentin (mort v. 161). Mais aussi Marcion (env. 85-160), qui était tellement obsédé par l'idée que l'enseignement du Christ aurait été falsifié dès l'origine, qu'il constitua sa propre compilation expurgée du "Nouveau Testament" – terme qu'il aurait du reste été le premier à introduire pour marquer la différence avec "l'Ancien". Force est d'admettre que le Christ n'a pas écrit lui-même de testament. Mais une compilation expurgée de ce dernier constitue elle aussi une affaire problématique. Selon Harnack, Marcion a néanmoins apporté une contribution essentielle pour établir les bases de l'église catholique(*4). La plus vieille inscription chrétienne datée proviendrait d'une "synagogue" marcionite syrienne (1er octobre A. D. 318). Précisons que "synagogue" est un mot grec, qui signifie simplement "assemblée". Son "église" aurait donc perduré jusqu'au début officiel de l'orthodoxie catholique, en l'an 325.

 

3) Autour du concile de Nicée

Strictement parlant, on peut dire que l'hérésie a précédé l'orthodoxie, puisque l'instauration officielle de cette dernière remonte au Concile de Nicée, ordonné par l'empereur Constantin en l'an 325 de notre ère. Il convient donc d'examiner cette période, où se déroulent les plus graves luttes dogmatiques et politiques de l'histoire ancienne du Christianisme . Même si Constantin (280-337) ne fut officiellement baptisé que sur son lit de mort, il aurait voulu tirer parti de l'importance croissante du Christianisme pour consolider son pouvoir. Un pouvoir progressivement mis en scène par un cérémonial rigide de cour, où (de 330 à 337, dans Byzance devenue Constantinople) l'empereur est honoré comme un dieu. C'est donc "au-dessus du Christianisme " que Constantin aurait réglé par décret impérial les disputes religieuses d'une partie politiquement relevante de ses sujets. Précisons que la prétendue "légitimité impériale" de la papauté remonte à Constantin. Sa "donation", avec le "scandale des Fausses Décrétales" qui en résulta, constitue sans doute la plus importante falsification politique du Moyen ge.
Au départ, Constantin aurait favorisé le Christianisme par opportunisme politique, mais peut-être qu'il était aussi motivé par l'impression que cette religion nouvelle offrait "une magie plus efficace" que la protection des anciens dieux de Rome. C'est du moins ce que laisse entendre Socrate dit "le Scolastique" ou "l'Avocat". En 312, à la suite d'une vision du chrisme (labarum) assorti de la devise 'In hoc signo vinces', Constantin en aurait fait son trophée de guerre dans la lutte contre ses ennemis(*5). Dans la période de paix et de reconnaissance officielle qui s'installe progressivement pour les chrétiens (puisque auparavant, ils étaient souvent persécutés), une simple étincelle – une petite dispute entre un prêtre et un évêque – va causer un immense brasier, un véritable schisme qui perdurera pendant trois siècles au moins.
Vers 318 Alexandre, évêque d'Alexandrie, aurait tenté de donner dans un sermon une explication de "l'Unité de la Sainte Trinité". Dans la discussion qui suivit, un prêtre africain nommé Arius osa le contredire, affirmant que si le Père a engendré le Fils, ce dernier a un commencement, et qu'il y aurait donc eu un temps où le Fils n'était pas. En somme, alors qu'Alexandre ne voit que la divinité du Christ, Arius cherche à le rapprocher de la condition humaine. Pour un esprit aimant les paradoxes, ces deux points de vue ne sont pas forcément incompatibles – mais on ne peut en dire autant du tempérament des deux hommes qui les défendent. Le premier, qui était certainement blessé dans son amour propre, ordonne au second de changer d'avis; mais ce dernier (qui aurait peut-être voulu devenir "évêque à la place de l'évêque"?) n'en fait rien. L'attitude d'Arius semble néanmoins avoir été plus hésitante, plus contradictoire et presque kierkegaardienne. Au fond, on peut se demander si au départ, Arius ne représentait pas simplement le droit d'avoir des doutes, la liberté de spéculer et d'avoir sa propre opinion – et c'est dans cette optique favorable à la philosophie, qu'il aurait voulu présenter à Alexandre l'antithèse de sa thèse.
La décision de l'épiscopat d'Alexandrie (Alexandre et ensuite Athanase), qui reposait depuis le début du IIIe siècle sur un appareil administratif important, était de ne pas revenir sur sa décision. D'une "monotonie pesante", répétant et redisant sans cesse les mêmes formules et les mêmes anathèmes. A la longue, cette méthode s'avéra d'une relative efficacité, mais à quel prix! Arius sera démis de ses fonctions et excommunié. Cette sanction spectaculaire ne fit qu'aggraver les choses, puisque tout le monde voulut en savoir la cause. Ce n'était sans doute pas la première fois que cette question trinitaire avait été posée, mais maintenant qu'elle devint une affaire politique, tout le monde voulait s'en mêler. Les remous de cet incident traversèrent l'Égypte et semèrent le trouble dans d'autres provinces de l'empire. Il y aurait même eu des bagarres dans les rues des villes, et les chrétiens devinrent la risée des païens, qui s'amusaient à parodier leurs disputes dans les théâtres.
Pour apaiser ces troubles de l'ordre public, Constantin réunit un concile dans son palais de Nicée. En moins d'une décade, les évêques passèrent ainsi des catacombes aux honneurs impériaux. Ils furent reçus en grande pompe, mais ils étaient aussi forcés de souscrire aux décisions du concile. "Certes, les décisions du concile de Nicée n'étaient pas dues au hasard; elles avaient été déterminées par des manuvres tactiques et par la pression impériale. Constantin avait tout intérêt à ce que dans l'Église d'État fondée par lui, régna la paix et s'établit l'union. La condamnation d'Arius et la profession de foi de Nicée devaient servir ce dessin. Mais comme le résultat escompté se faisait attendre, l'empereur, se rangeant à l'avis de ses conseillers, revint sur la décision prise au sujet du dogme. [...] Pour finir, Arius lui-même rentra en grâce(*6)."
Après cinq ans d'exil, Arius fut donc invité à reprendre ses fonctions. Mais la veille du jour annoncé pour sa réhabilitation officielle, il disparut subitement. Selon une anecdote posthume, mise en circulation par son grand rival Athanase, Arius serait mort aux latrines, d'une violente dysenterie. (Résumé littéral: "en se liquéfiant avec ses excréments pour disparaître corps et âme dans l'orifice d'une cloaque".) Au lecteur d'apprécier la portée symbolique de cette fin romanesque. Il ne fallait surtout pas en faire un martyr. Mais cette trop subite "descente aux enfers" ne fit que nourrir des rumeurs d'empoisonnement, si bien qu'après la mort d'Arius, l'opposition reprit de plus belle, et tout l'empire en fut bientôt affecté.
L'arianisme fut même la seule hérésie à devenir religion d'État, sous Constantin II (337-361). Sous le règne de son cousin Julien (361-363), la tolérance religieuse fut rétablie, ce qui favorisa un retour au paganisme – et valut à l'empereur, de la part des chrétiens, le surnom d'Apostat. Il fonda en effet une contre-église païenne servant un culte solaire, et aurait même rédigé un traité Adversus Christianos. En 380, l'arianisme est à nouveau interdit en Orient. Tous les cultes païens sont prohibés en 391, et le catholicisme devient religion d'État.
Un siècle plus tard, les Goths, convertis au Christianisme arien par l'évêque Ulfilas (v. 311-383) avant d'être chassés du Sud de la Russie par les Huns, vont ramener temporairement l'arianisme en Italie. Notamment sous le règne de l'Ostrogoth Théodoric (474-526). En raison d'une nouvelle condamnation de l'arianisme, son régime tolérant, notamment envers les catholiques et les juifs, se termina par une tragédie. Cette dernière entraîna la disparition des Ostrogoths(*7). Signalons encore qu'après Justin (450-527, r.418-527), l'empereur responsable des nouvelles persécutions, son neveu Justinien (482-565, r.527-565) ordonna même la fermeture de l'Académie platonicienne, en 529, après 916 années d'existence. Elle ne fut rouverte que 930 années plus tard, à Florence, en 1459.
D'autres hérésies, comme le donatisme, le manichéisme ou le pélagianisme, ont été combattues par la patristique post-nicéenne – mais sans jamais atteindre l'ampleur de l'arianisme. Elles ne seront pas abordées dans cet exposé.

 

4) Dans le sillage de l'albigéisme

Au Moyen ge, on verra tout d'abord l'hérésie passer de quelques grands noms d'hérétiques sans mouvement à de grands mouvements d'hérésie sans nom.
Pour les grands noms d'hérétiques solitaires, on retiendra surtout le moine Gottschalk et Jean Scot Érigène (au IXe siècle); ainsi que Pierre Abélard (1079-1142) le célèbre amoureux d'Héloïse plusieurs fois condamné, notamment par Bernard de Clairvaux au concile de Sens (1140).
La plus grande affaire d'hérésie du XIIe au XIVe siècle est par contre "un mouvement sans nom" puisqu'elle ne se rattache pas à la personnalité notoire de quelque hérésiarque fondateur. Au départ, l'Église ne semble même pas être en mesure de clairement définir la doctrine de ses adversaires présumés, traitant de (néo-) manichéens ou d'ariens ce qui deviendra plus tard le catharisme ou l'albigéisme. Il s'agit de la plus grande affaire d'hérésie du Moyen ge, en raison de l'ampleur de la répression qu'elle a causée.
La présomption de manichéisme n'est pas infondée, puisqu'il s'agissait d'une sorte de dualisme issu de tendances inhérentes au Christianisme lui-même, mais aussi d'une nouvelle mouvance du manichéisme ancien, avec ses emprunts aux mythologies mazdéennes, gnostiques, juives, chrétiennes voire bouddhistes (voir la notion de "terre pure"). Ce nouveau manichéisme aurait été importé d'Orient au moment des croisades, notamment par l'entremise des bogomiles (amis de Dieu) bulgares. C'est en raison de cette piste bulgare que les cathares auraient été surnommés "bougres". D'autres y ont vu une allusion aux Burgondes, aussi touchés par l'hérésie. En fait, cette dernière s'est aussi répandue dans le nord de l'Europe, puisque c'est à propos d'un bûcher d'hérétiques à Cologne, en 1163, qu'un abbé rhénan leur aurait pour la première fois attribué le surnom de "cathares". Du Grec catharos, "pur". En ce sens, les cathares ont parfois été considérés comme les précurseurs des puritains. Ces aspects de la question ont été amplement exposés dans de nombreux ouvrages.
Par contre, la présomption d'arianisme est rarement avancée, mais on peut aussi lui trouver des motifs de crédibilité. Dans cette perspective, le catharisme serait originellement issu du "gotharisme", puisque le berceau de la variante méridionale de cette hérésie se situe dans l'ancien royaume des Wisigoths. La Catalogne, c'est-à-dire la Gothalunia de Charlemagne était à cette époque "le pays des Goths". Leurs places fortes devinrent les châteaux dits "cathares". En fait, le Pog de Montségur – une sorte de Tempelburg ou "temple fortifié" – était le seul château cathare au sens strict du terme(*8). Rennes-le-Château était l'ancienne Rhedae, une cité wisigothe de trente mille habitants. Au XIXe siècle, l'abbé Saunière y aurait trouvé un trésor, ce qui donna lieu aux plus fabuleuses spéculations. Depuis l'ère carolingienne, Béziers passait encore pour "la capitale du Margraviat de Gothie", du moins jusqu'au fameux sac de 1209. Jean Guiraud va même jusqu'à affirmer que Castelnaudary, siège du premier concile cathare, dériverait de 'Castel novum de Arrio'(*9). Quoi qu'il en soit, Arriani est attesté chez plusieurs auteurs anciens pour désigner les hérétiques provençaux. Notamment chez Henri de Clairvaux, qui laisse entendre qu'"Arius revit dans les contrées occidentales par l'entremise de ses héritiers(*10)".
Mais dans cette affaire, comme dans bien d'autres, les pistes ont été passablement brouillées, et l'on ne saurait simplifier les choses en cédant à des conclusions hâtives. Il semble néanmoins que le catharisme se soit d'abord répandu parmi les descendants des Goths, puisqu'ils étaient un peuple "traditionnellement hérétique", et de surcroît plus ouverts à ce qui pouvait venir "de Bulgarie", puisque leur royaume se trouvait jadis sur la Mer Noire. Il est tout de même frappant de constater que ceux qui administraient le principal rite cathare (consolamentum) étaient appelés parfaits ou bonshommes. Or, si on traduit ce dernier terme, on s'aperçoit que Goths, 'good men' et bons hommes, c'est la même chose. A cela s'ajoute l'assonance gothique (latinisée) de noms comme celui de l'évêque cathare Guilhabert. Ce nom semble même avoir une connotation ministérielle, puisqu'il pourrait signifier: "celui qui avoit la volonté (divine)". Père spirituel des dames de Fanjeaux et d'Esclarmonde de Foix, Guilhabert se réfugia plus tard à Montségur. Mais il faut aussi reconnaître qu'au niveau du contenu, la nouvelle hérésie ne ressemble pas à l'ancienne. Son contenu a manifestement évolué avec le temps et avec l'apport d'autres cultures plus récentes, voire au contraire pré-romaines (populations celtes, hispaniques, vascones basques, volces tectosages, etc.). Dans une contrée et une époque réputée tolérante se forma ainsi la riche texture médiévale de l'Occitanie, dont les tisserands-voyageurs et les troubadours étaient les meilleurs apôtres.
Rome jugea au contraire que la région filait du mauvais coton. La croisade qui déchira ce "tissu d'hérésie" débuta en 1209. Elle dura plus d'un siècle, si l'on compte toutes les actions subséquentes; depuis les grandes campagnes militaires jusqu'au bûcher du château épiscopal de Villerouge, où Guilhem Bélibaste, le dernier parfait cathare connu du Languedoc, monta en 1321. Voire jusqu'en 1340, si l'on compte le bûcher anonyme de Carcassonne. Cette croisade aurait fait "un million de victimes, dit-on"(*11). C'est très exactement elle qui dès 1231, sur ordonnance pontificale, donna naissance à "l'appareil de nettoyage d'hérétiques" appelé Inquisition(*12).

 

5) Amauriciens, béguines et frères du Libre-Esprit

Comme la furieuse répression de l'école philosophique amauricienne (1210) a débuté peu après la grande croisade contre l'albigéisme, on peut se demander si les deux événements ne sont pas liés. Les amauriciens constitueraient-ils une sorte de rhizome intellectuel de l'hérésie albigeoise? Quelques indices autorisent d'en faire pour le moins la supposition.
D'une part, le premier essor universitaire d'avant le régime "sous tutelle dominicaine" de la Sorbonne est parallèle à celui de l'albigéisme. D'autre part, la route de l'aristotélisme arabe, qui va de Tolède à Paris, traversait au moins jusqu'en 1209 les territoires de l'albigéisme. Le professeur parisien Amaury, Almaric ou Amalric de Bêne (de son vivant un ami du roi de France, "mort de chagrin" en 1206 après sa condamnation, puis exhumé du cimetière de la basilique de Saint-Martin-des-Champs en 1210, c'est-à-dire pendant la croisade albigeoise) est, avant Siger de Brabant, un des premiers Parisiens à s'être intéressé à l'aristotélisme arabe, plus connu sous le nom d'averroïsme. On lui reproche d'avoir fait une interprétation néoplatonicienne (Scot Erigène) et même "panthéiste" d'Aristote. Si bien qu'en 1215, le Légat du Pape interdit non seulement les écrits d'amauriciens comme David de Dinant, mais aussi la lecture des livres d'Aristote. Ce dernier sera ensuite réhabilité "contre l'averroïsme", notamment par Albert le Grand et Thomas d'Aquin.
Les amauriciens auraient en outre repris de l'abbé cistercien Gioacchino da Fiore (Calabre, 1130/45-1202) la prophétie trinitaire des trois âges. L'âge du Père correspond à la loi, à la matière et à l'Ancien Testament. L'âge du Fils à la foi, au corps doctrinal de l'Église et au Nouveau Testament. L'âge du Saint Esprit, constitue une sorte de "Nouvel ge", qui abolirait la loi et la foi de l'Ancien et du Nouveau Testament. Annoncé pour l'an 1260 (date de naissance de Maître Eckhart), on imagine ce que cette prophétie pouvait avoir de subversif pour l'Église établie. A la différence du Père et du Fils, le Saint-Esprit n'allait pas s'incarner dans un seul individu, mais dans toute l'humanité.
Outre la connotation clairement averroïste d'un "intellect (logos) commun à toute l'humanité", cette idée recèle aussi un substrat d'arianisme, puisque humaniser le Christ revient à diviniser l'ensemble du genre humain. A cela vient s'ajouter la connotation "godiche" de Bêne (un toponyme du territoire des Carnutes, proche de Chartres), cependant qu'Amalric est bel et bien un nom wisigothique. En 1211, un Magister Godinus d'Amiens, est à son tour brûlé pour amauricianisme, si bien que cette hérésie fut aussi appelée godinisme. En 1210 quatorze autres prêtres et clercs avaient déjA étés condamnés pour la même raison. Quatre d'entre eux seront emprisonnés à vie, alors que les dix autres finiront au bûcher. Les "convertis ignorants" furent graciés. Tout comme chez les cathares, il y aurait eu parmi ces derniers de nombreuses femmes. Elles auraient donc continué – de manière plus secrète et bien féminine – à mettre en pratique ce mélange de philosophie panthéiste, d'enthousiasme mystique et d'ivresse spirituelle inspirée de l'hérésie amauricienne. Cette dernière allait donc refaire surface dans différentes ramifications spirituelles en marge de l'Église, auxquelles on donnera entre autres le nom de "béguines", ce qui pouvait aussi vouloir dire "albigeoises"(al-bigen-ses*13).
Cela ne signifie pas que les amauriciens ont perduré telle une secte ou une organisation clandestine bien structurée. Mais une nouvelle forme de sensibilité religieuse s'était constituée, si bien que des cercles spirituels "panthéistes" ont continué à se former, notamment parmi les femmes. D'autres appellations, comme l'équivalent masculin de "bégards" ou l'insaisissable hérésie dite du "Libre-Esprit" désignent en fait quelque chose d'analogue (tout en suggérant le scandale du libertinage spirituel, voire charnel), puisque des recherches ont montré qu'elles ont la même origine. Dans son importante étude sur cette hérésie, Romana Guarnieri estime en effet que "les origines du Libre-Esprit sont à ce jour entourées de mystère: parmi les nombreuses opinions proposées, aucune n'a abouti à devenir une théorie certaine(*14)." Suit une longue présentation de ces différentes opinions. Il ressort de cette présentation que Joachim de Flore et Amaury de Bêne seraient encore une fois les principaux inspirateurs de ce mouvement.
Après avoir dégagé ces quelques grandes lignes en cherchant à donner une perspective originale, on conviendra que cette perspective ne saurait être la seule. Cela reviendrait à passer à côté de la réalité, toujours complexe, pour tomber dans une sorte de réductionnisme.

 

6) Maître Eckhart ou l'hérésie dans l'ordre dominicain

Alors que l'ordre dominicain avait initialement été fondé pour combattre l'hérésie cathare, certains de ses membres seront à leur tour accusés de connivence avec les hérétiques. Tel est notamment le cas de Maître Eckhart (v. 1260-1327), dans une moindre mesure de son disciple Heinrich Suso (v. 1295-1366); et plus tard de Girolamo Savonarola (1452-1498) et Giordano Bruno (1548-1600). Mais avant le procès de Maître Eckhart, l'Inquisition n'avait encore jamais frappé aussi haut à l'intérieur même de son ordre. Voilà pourquoi il importe de s'attarder un peu sur la question de l'hérésie chez Maître Eckhart.
Après son second magistère parisien (1311-1313), Maître Eckhart sera passablement mêlé à cette forme de spiritualité marginale que ses contemporains assimilaient aux béguines ou à la "secte des frères et surs du Libre-Esprit et de la pauvreté volontaire" puisqu'il séjournera principalement à Strasbourg, qui comptait alors de nombreux béguinages. Trois ans auparavant, le concile de Vienne (1311) avait interdit et excommunié toutes les béguines et tous les béghards. Pour se faire une idée du nombre de personnes concernées par cette mesure, on citera le chroniqueur anglais Matthew Paris, qui, en 1243 déjA, estimait à 85 le nombre de béguinages à Strasbourg (contre 7 couvents de dominicaines). A Cologne, il y en avait 169, et le nombre total des béguines en Allemagne était estimé à un million (milia milium)(*15).
La crise s'accentua encore, lorsque le pape Jean XXII publia la décision du concile de Vienne en 1317. Cette décision s'avérant irréaliste, il fut précisé l'année suivante que les béguines "pieuses et honorables" n'étaient pas concernées par cette mesure. La crainte des suspicions et des condamnations poussa cependant les béguines à se rapprocher davantage des ordres mendiants – qui furent à leur tour suspectés de protéger l'hérésie au lieu de la combattre.
En ce sens, la déstabilisation des franciscains par la controverse sur la pauvreté (cf. fratricelles, joachimites et autres spirituels), qui conduisit notamment en 1323 à l'arrestation du général des franciscains Michel de Césène, de son procurateur Bonnegrâce de Bergame et du ministre provincial anglais Guillaume d'Occam, est étrangement parallèle à la déstabilisation des dominicains par le phénomène de la "mystique rhénane" (dont les dominicaines, souvent d'anciennes béguines, constituaient le principal vecteur), et qui conduisit au moins dès cette même année 1323 aux démarches préliminaires au procès de 1326, contre Maître Eckhart. Comme on le sait, les deux affaires se recoupent à Avignon, en l'an 1327.
D'après les témoignages de Michel de Césène et Guillaume d'Occam, les béghards et les frères du Libre-Esprit se seraient réclamés de la doctrine de Maître Eckhart(*16). Voici ce qu'en 1317 l'évêque de Strasbourg dit à leur propos:
"L'on rencontre dans notre ville et dans notre diocèse un certain nombre de sectaires que le peuple appelle béghards et surs mendiantes, et qui se donnent à eux-mêmes le nom de secte du Libre-Esprit et de frères et surs de la pauvreté volontaire. Dans leur nombre se trouvent, à notre grande douleur, des moines et des prêtres, et beaucoup de gens mariés [...] Nous condamnons toutes les doctrines et cérémonies de la secte; nous ordonnons que ces hérétiques soient chassés de leurs habitations, que les maisons qui servaient à leurs réunions soient vendues publiquement au profit de l'Église. Les livres qui renferment leur doctrine doivent être remis aux prêtres dans l'espace de quinze jours et brûlés(*17)."
La fin de cette citation montre encore une fois que les hérétiques possédaient un corpus littéraire, dont les dominicains se sont sans doute même inspirés pour constituer une mystique plus orthodoxe. D'autre part, on comprend aussi pourquoi il n'en reste presque rien. On a parfois associé le dialogue entre Maître Eckhart et Sur Katrei (i.e. Sur Cathare), ainsi que le Miroir de Marguerite Porete au mouvement du Libre-Esprit, mais ces textes constituent, de ce point vue, un témoignage assez tardif. Outre ces deux textes, peu de témoignages ont échappé au bûcher, hormis quelques légendes et poésies mystiques de la même époque. Par exemple ce passage, qui ne manque pas de faire penser au dialogue de Suso avec la "Chose sauvage sans nom":

Mon esprit est devenu sauvage
il a quitté toute différence:
lA je suis sans images
dans mon êtreté. [etc.](*18)

Pour ce qui est de Maître Eckhart, divers indices montrent qu'il avait une certaine sympathie pour les béguines et autres formes de spiritualités marginales, qu'il devait rencontrer dans l'exercice de sa prédication. A ce propos, il est aussi intéressant de voir l'usage sans haine du mot "hérésie", qui n'apparaît que trois fois dans l'uvre allemande de Maître Eckhart. Dans un premier passage, il explique que l'hérésie consiste à s'accrocher aux différences de manière exclusive, c'est-A-dire, de manière à empêcher toute expérience intérieure de l'unité sous-jacente à la diversité des êtres. Dans un autre sermon, le même mot apparaît encore une fois dans un contexte analogue. La troisième citation semble refléter les sentiments d'Eckhart lui-même, alors qu'il se trouvait accusé d'hérésie: "Voilà pourquoi je dis: un saint n'a jamais existé à qui la peine n'ait fait mal et la joie n'ait été délectable, et aucun n'y parviendra jamais. Sans doute cela arrive-t-il parfois, par amour, inclination ou grâce, que, quelqu'un étant venu dire à un autre qu'il est hérétique ou quoi que ce soit, cet autre soit inondé de grâce et reste impassible dans la joie et la souffrance(*19)."
Après un premier procès à Cologne, en 1326, Maître Eckhart comparaît en 1327 à Avignon devant une commission de théologiens nommée par le pape Jean XXII. Suite à l'audience, un rapport d'expertise se prononce sur 28 propositions extraites des uvres de celui-ci. Par la suite, un autre rapport d'expertise est rédigé par le cardinal Jacques Fournier Novelli (le futur pape Benoît XII), sur la base des actes du procès. Il est intéressant de noter que trois ans avant, ce même Jacques Fournier était parmi les derniers à avoir mené – pendant sept ans – une campagne inquisitoriale contre les cathares des Pyrénées. C'était dans le diocèse de Pamiers, entre 1318-1325.
Le 27 mars 1329, la bulle "In agro dominico" nous informe que Maître Eckhart désavoua et révoqua tout ce qu'il aurait pu écrire d'hérétique avant la fin de sa vie (une formule posthume classique concernant les hérétiques), et condamne dix-sept propositions qui, "tant par les termes employés que par l'enchaînement de leurs idées, contiennent des erreurs ou sont entachés d'hérésie". Les trois premières propositions concernent la "coéternité" de Dieu et du monde, les trois suivantes la relativité des uvres, cependant que les autres propositions condamnées concernent la divinisation de l'homme (7-13 – en référence au Libre-Esprit?), le péché (14-15), l'étincelle dans l'âme (27 = I) et le fait que Dieu ne saurait être appelé "bon" (28 = II). Onze autres propositions, concernant les actes intérieurs (16-19), la filiation divine (20-22), l'Uni-Trinité (23-24), l'amour sans distinction (25) et le "néant" des créatures (26), sont jugées "malsonnantes, très téméraires et suspectes d'hérésie, bien que, moyennant force explications et compléments, ils puissent prendre ou avoir un sens catholique"(*20).
Ajoutons que cela se passa à une époque où plus personne n'était à l'abri de graves accusations. Ainsi, le pape qui condamna Eckhart fut à son tour accusé d'hérésie, et dut même se rétracter. Même si, de nos jours, l'hérésie est parfois considérée comme un compliment, et donc comme une bonne raison de s'intéresser à un auteur, la recherche actuelle tend à conclure qu'il ne serait pas juste de faire ce "compliment" à Maître Eckhart(*21). Chez Platon nous trouvons cet épisode où Socrate et Eutyphron se rencontrent au tribunal d'Athènes (Eutyphron 7b), un peu comme Maître Eckhart et Guillaume d'Occam se seraient rencontrés en 1327 à la curie d'Avignon. Malgré la différence des contextes, la ressemblance est troublante. Après avoir convenu avec Eutyphron qu'il est facile de mettre un terme à des divergences concernant des grandeurs mathématiques (mesure, pesée et autres entités chiffrables), Socrate montre que tel n'est pas le cas pour des jugements esthétiques ou moraux – notamment lorsqu'il s'agit de différencier le bien et le mal: "examine si les présents objets de dissentiment ne sont pas ce qui est juste et ce qui est injuste, beau et laid, bon et mauvais: n'est-ce pas à propos de nos dissentiments lA-dessus et à cause de notre incapacité, dans ces cas, à arriver à nous départager, que nous devenons ennemis les uns des autres quand nous le devenons, toi aussi bien que moi, et en totalité, le reste des hommes?(*22)" De tels problèmes ne peuvent être humainement gérés que par le dialogue, le discernement des nuances dans l'imbrication complexe de la réalité, et par la recherche sincère d'un compromis.
Les circonstances du décès de Maître Eckhart n'ont jamais pu être éclaircies, car pendant longtemps, plus personne ne parla ouvertement de lui. On ne saurait toutefois passer sous silence l'avis du paléographe et collectionneur de manuscrits eckhartiens Daniel Sudermann (1550-1631) qui affirme de façon réitérée que Maître Eckhart "et de nombreux à sa suite ont été brûlés par les inquisiteurs à Heidelberg(*23)". Tout ceci n'est peut-être qu'un amalgame avec une condamnation bien réelle de ses écrits par les théologiens de cette ville. Donc une légende où des faits réels se mêlent à l'imaginaire et à l'exagération. Mais il n'est pas exclu que le célèbre maître thuringien soit rentré d'Avignon en croyant avoir évité le pire. Chemin faisant, il aura été accompagné ou rejoint par ses amis, voire par d'autres voyageurs présumés hérétiques. Conformément aux allégations de Sudermann, et peut-être sur ordre de l'archevêque de Cologne (sans doute son pire ennemi), tout ce monde aurait alors été intercepté par les inquisiteurs de Heidelberg, "pour mettre un terme à la propagation de l'hérésie".

 

7) De la Réforme à l'an 2000

On l'a vu au début de cette chronique, le principal reproche formulé à l'encontre de Simon Magus concernait sa vénalité. Il est intéressant de voir que l'événement qui va déclencher le mouvement de la réforme est lui aussi lié à ce problème. Car si en combattant Simon le Magicien, la patristique a donné naissance à la première grande figure d'hérétique, c'est par le reproche formulé à l'encontre de Simon que le monopole de l'Église romaine va tomber.
Lorsque le 31 octobre 1517, Luther affiche ses 95 thèses à l'église du château de Wittenberg il y est à nouveau question de vénalité, à savoir du mauvais usage des indulgences. Il en résulte tout d'abord une simple procédure d'hérésie à laquelle Luther parvient à se soustraire pour initier dès 1520 son programme de réforme, puis un véritable mouvement de réformation, avec de nombreux clivages et de célèbres réformateurs. L'histoire de ce mouvement déborde largement du contexte de cet article. On se contentera de noter qu'une hérésie triomphante ne tarde que rarement à engendrer ses propres hérésies. Si Luther lui-même ne brûlera pas d'hérétiques, on sait que Calvin a durablement noirci la cause du protestantisme, notamment en appelant de ses vux le bûcher de Michel Servet, le 27 octobre 1553.
Les procès de sorcières, rendus légitimes dès 1484 par une Bulle pontificale d'Innocent VIII (mais qui ont déjA commencé vers 1230), ont aussi franchi la barrière des nouvelles confessions. La justification théologique provenait toujours de la même loi religieuse de Moïse, prescrivant qu'on ne saurait laisser une sorcière en vie(*24). Si au sens historique du terme, l'hérésie est principalement une notion associée au Moyen ge, la peur des sorcières prend véritablement son essor avec la Renaissance, et ce jusqu'A la fin du XVIIIe siècle. C'est un paradoxe de voir que si au Moyen ge, réputé irrationnel, l'hérésie était une catégorie somme toute encore assez rationnelle, ce n'est qu'avec la Renaissance que de ce point de vue, l'Europe et plus tard aussi l'Amérique basculèrent dans la superstition et l'irrationalité. Alors que précédemment, c'était une hérésie que de croire aux forces occultes et aux pouvoirs de la sorcellerie, désormais c'était une hérésie d'en nier l'existence. Il en résulta une démonisation de la vie intérieure et une suspicion obsessionnelle de son prochain, quelque chose comme une maladie religieuse contre laquelle peu de véritables chrétiens et membres sains du clergé n'osèrent se dresser. Sous peine de subir à leur tour les pires sévices.
Comme on le sait, ce n'est pas ainsi, mais avec compassion, que le Christ guérit les possédés. Il semblait de plus être en mesure de fréquenter ses "clients" aux comportements les plus bizarres sans éprouver la moindre crainte. Aucun des ses "patients" n'a du reste fini au bûcher. Par contre, avec la torture comme moyen de "preuve", par laquelle il était possible de faire "avouer" n'importe quoi, avec la projection et sans doute aussi la pratique de toutes sortes de perversions sexuelles misogynes, voire pédophiles, on finit par croire à l'existence plus que manichéenne d'une hypostase du mal. A la différence que cette dernière s'est emparée non pas des pauvres victimes mais des bourreaux, des inquisiteurs et des juristes. Cette folie collective dura si longtemps que plus aucun livre ne peut en décrire l'horreur ni même en chiffrer les dommages. Sur simple dénonciation, tout le monde pouvait passer au bûcher sans raison rationnellement justifiable et sans aucune discrimination: idiots ou savants, hommes, femmes, enfants, vieillards, catholiques, protestants, croyants ou non croyants.
Avec la Renaissance l'adéquation de la notion d'hérésie va diminuer, puisque au sens strict du terme, l'hérétique n'est pas à confondre avec un non croyant ou un membre d'une autre religion ou confession. A l'image de Simon, qui ne pouvait devenir hérétique que parce qu'il s'était préalablement converti au Christianisme . Ce qui explique aussi le statut particulier des Juifs au Moyen ge. Alors que les mouvements hérétiques furent, si possible, totalement exterminés, les Juifs, pour des motifs psychologiques complexes, étaient à la fois persécutés et épargnés. Comme on le sait de récente mémoire, tel ne fut plus le cas au XXe siècle. Pour une raison analogue, on peut dire que l'athéisme propagé depuis la Révolution française n'est plus exactement ce qu'on pourrait appeler un schisme ou une hérésie. Un titre comme Le livre des trois imposteurs (paru vers 1753), selon lequel trois individus ont corrompu le monde des hommes, à savoir un berger (Moïse), un médecin (Jésus) et un chamelier (Mahomet), se situe aussi en dehors de ces catégories. Il en va de même pour les écrits philosophiques de Friedrich Nietzsche (1844-1900), pour qui il fallait conquérir la liberté et trouver une nouvelle éthique en s'affranchissant des valeurs établies du Christianisme .
Cependant, même si on peut dire que la notion d'hérésie est étroitement associée à l'histoire du Christianisme , il n'en demeure pas moins que le même phénomène est observable dans d'autres religions. Hérésie vient du grec hairesis, qui désigne l'action de prendre (ceci ou cela), la préférence, l'inclination, c'est-A-dire 'le choix' – notamment par un vote ou une élection. Qui dit choix dit divergence, sans pour autant que cette dernière soit nécessairement conflictuelle. En fait, l'hairesis est une conséquence naturelle de la pluralité: que ce soit la préférence pour une doctrine, une école philosophique, une école littéraire ou un parti politique. En ce sens, notre époque individualiste est celle du triomphe de l'hérésie. L'hairesis prend un sens négatif et conflictuel lorsque ce choix est extrémiste, qu'il implique une exclusion des autres choix possibles. C'est alors qu'on parle de secte politique dangereuse. Mais il faut aussi reconnaître que ce qualificatif peut à son tour conduire à des persécutions arbitraires – comme par exemple celle des chrétiens dans la Rome impériale. Chaque fois qu'un dogme religieux devient normatif pour une société donnée, le fait de toucher ou d'interpréter ce dogme de manière divergeante risque de troubler l'ordre de cette société ou l'autorité dictant les normes applicables à celle-ci. Toute dissidence est alors perçue comme une hérésie. En fait, cette dernière est inversement proportionnelle à la liberté de pensée dont jouit une société. Idéalement, il ne devrait pas y avoir d'hérésie – au sens négatif du terme – dans une saine démocratie.
Certes, les hérétiques ne sont pas toujours une bénédiction pour l'humanité, surtout lorsqu'ils sont fanatiques. Mais l'histoire nous a aussi montré à maintes reprises que, selon la phrase de Tertullien, "il faut que les hérétiques soient". Le cas de Galilée (1564-1642) en est le plus célèbre exemple, mais certainement pas le seul. Parmi les "hérétiques utiles" allant du seuil de la modernité à l'aube du XXe siècle, il faudrait notamment citer Blaise Pascal (1623-1662), Baruch Spinoza (1632-1677), Gotthold Epharaïm Lessing (1729-1781), Voltaire (1694-1778) et Rousseau (1712-1778) ou encore les romanciers russes Léon Tolstoï (1828-1910) et Fiodor Dostoïevski (1821-1881). Dans un roman de ce dernier, Les Frères Karamazov, le grand inquisiteur ne dit-il pas au Christ qu'il est le pire des hérétiques?
En 1965, l'Inquisition fut réformée par Paul VI et devint La congrégation pour la doctrine de la foi. Certes l'Église catholique connaîtra toujours des dissidents, comme par exemple Hans Küng ou Eugen Drewermann. La dissidence est en quelque sorte dans la nature des choses, elle constitue le contre-pied logique de toute institution. Mais dans le fond, les moyens mis en uvre pour la défense de l'orthodoxie ont radicalement changé. Voilà pourquoi il importe d'ajouter qu'une étude approfondie de l'hérésie n'enlèvera rien aux aspects positifs qu'une religion majeure comme le Christianisme a su apporter à l'humanité en deux mille ans d'existence. Et dans cette perspective optimiste, de lui souhaiter bonne route pour le nouveau millénaire – en convenant avec l'hermeneute Hans-Georg Gadamer que l'cuménisme (oikoumene) ne désigne pas seulement la réconciliation des confessions chrétiennes, mais bien plus, à savoir "la totalité du monde habité".
Puisse le lecteur, après avoir goûté ces pages pleines d'hypothèses et d'imperfections, d'horreurs et "d'hérésie sur les hérésies", être convaincu de la nécessité de garantir la liberté religieuse, d'éviter les extrêmes et de promouvoir l'esprit de symbiosophie.

 

Wolfgang Wackernagel, Dr phil.
Le Vatelier (atelier de paroles)
23, chemin de Sierne
CH - 1255 Veyrier / Genève

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(*) Notes:

1. Cet article reprend une émission réalisée pour la Radio Suisse Romande Espace 2: "Domaine Parlé" d'Alphonse Layaz, interview par Serge Margel, diffusée du lundi 31 mai au vendredi 4 juin 1999.
2. "Porter la parole en cette cité était un acte d'audace, car depuis de longs siècles les Samaritains étaient exclus de la communauté d'Israël." La Bible, traduction et notes Émile Osty et Joseph Trinquet, Paris, Éd. du Seuil, p. 2332 et notes.
3. Cf. l'excellent livre de Walter Nigg, Das Buch der Ketzer, Zurich, Artemis 1949, p. 29-30.
4. Adolf von Harnack, Marcion: das Evangelium vom fremden Gott. Eine Monographie zur Geschichte der Grundlegung der katholischen Kirche, 1924, 2. Aufl. Berlin 1996, reprogr. Akademie Verlag.
5. Cf. Socrates Scholasticus, Ecclesiastical History. From the accession of Constantine, A. D. 305, to the 38th year of Theodosius II., including a period of 140 years, translated from the Greek sine nomine, Londres, Bohn 1853, p. 3. Nouvelle édition, Édimbourg 1989. Par définition, l'avocat doit arranger les faits en faveur de son client. On ne sera donc pas étonné que l'objectivité de cet auteur soit mise en doute. Son Histoire Ecclésiastique constitue néanmoins une source intéressante pour l'étude de cette époque, allant de la fin des persécutions de Dioclétien (309) à l'an 439, c'est-A-dire trois décades après le sac de Rome par Alaric roi des Wisigoths (410). Op. cit. p. 343.
6. Cf. Hans von Campenhausen, Les Pères grecs, trad. O. Marbach, Paris, Ed. de l'Orante 1963, p. 99.
7. Les Vandales connaîtront le même sort en 533-534, alors que les Wisigoths, Souabes et Lombards deviendront catholiques sous le pontificat de Grégoire le Grand (590-604). Quelques vestiges de l'église d'Ulfilas auraient encore subsisté au XIXe siècle, notamment en Silésie. Seule la branche orientale, dite nestorienne, compte aujourd'hui encore de nombreux fidèles, notamment en Perse et aux États-Unis.
8. A ce propos, il y a une autre hypothèse intéressante, qui suggère que différentes sources d'inspiration ont conflué: le Pog de Montségur dérive peut-être de Bog, qui dans les langues slaves signifie Dieu (cf. bogomiles). En parallèle avec d'autres langues, on peut aussi lui associer l'idée de bois (sacré), de livre et d'hêtre. On sait que dans les anciennes légendes, le Dieu ou quelque héros divinisé dormait dans une montagne, avant de revenir "A la fin des temps". Il n'est pas exclu qu'A ce mythe se soit superposé celui de la parousie du Christ. Un tel phénomène est aussi observable à propos des légendes eckhartiennes. Voir à ce propos mon article: "Eckhart et son double. Mythographie comparative d'un nom emblématique", in Revue des Sciences Religieuses, 69e année, N° 2, Strasbourg, Avril 1995, p. 216-226.
9. Jean Guiraud, Cartulaire de Notre-Dame de Prouille, précédé d'une étude sur l'albigéisme languedocien aux XIIe et XIIIe siècles, Bibliothèque historique du Languedoc I. Paris 1907, p. ccxxxi.
10. "Revixit et Arrius in partibus occidentis, qui ab orientali judicio in propria persona damnatus, nunc in successoribus suis fines ultimos occupavit." Cité d'après Herbert Grundmann, Religiöse Bewegungen im Mittelalter, Berlin, 1935; 4e édition Darmstad, Wissenschaftliche Buchgesellschaft 1977, note 35, p. 31-32.
11. Cf. Fernan Niel, Albigeois et Cathares, Paris, PUF (Que sais-je?) 1955, p. 6.
12. Cf. la monumentale Histoire de l'inquisition au Moyen-ge, de Henri-Charles Lea, trad. Salomon Reinach, Paris, Société nouvelle de librairie et d'édition 1900.
13. On considère généralement que "béguine" vient du néerlandais beggaert. Or, Jan van Mierlo, un éminent chercheur néerlandais, affirme au contraire que begina dérive de Al-bigen-ses. Il n'est donc pas étonnant que "béguine" ait toujours gardé une connotation suspecte (cf. les condamnations de 1311 et 1317), puisque ce mot a la même origine que Ketzer, à savoir les cathares albigeois. D'autres désignations ont également circulé, comme le montre cet extrait d'un sermon de Jacques de Vitry, prononcé entre 1229 et 1240: "[...] Sapientes autem [...] huius seculi, prelati scilicet seculares et alii maliciosi homines volunt eam interficere et a bono proposito retrahere dicentes: Hec vult esse Beguina – sic enim nominantur in Flandria et Brabancia – vel Papelarda – sic enim appellantur in Francia – vel Humiliata – sicut dicitur in Lumbardia – vel Bizoke – secundum quod dicitur in Italia – vel Coquenunne – ut dicitur in Theotonia; et ita deridendo eas et quasi infamando nituntur eas retrahere a sancto proposito." Cf. Herbert Grundmann, op. cit., p. 377, note 47, et p. 532, note 19.
14. Romana Guarnieri, Il movimento del Libero Spirito, testi e documenti, Storia e letteratura, Roma 1965, p. 7. L'aspect hérétique du Libre-Esprit vient de ce qu'il abolit la notion de péché, si bien que l'Église, les sacrements et la pénitence deviennent inutiles. Cf. aussi Raoul Vaneigem, Les hérésies, Paris, PUF (Que sais-je) 1994 (bibliographie).
15. Herbert Grundmann, op. cit., p. 533 et note 29 (Monumenta Germaniae Historica, Scriptores 26, p. 234 et 443).
16. A propos des différences entre la prédication eckhartienne et certaines thèses attribuées aux béguines proches du Libre-Esprit – que Maître Eckhart aurait tenté de corriger, notamment dans les Sermons 5a, 29, 86 et dans le Sermon de l'homme noble, cf. Marie-Anne Vannier, "L'homme noble, figure de l'uvre d'Eckhart à Strasbourg", in Les mystiques rhénans (Revue des Sciences Religieuses, 70e année, n° 1, Strasbourg, janvier 1996), Paris, éd. Cerf 1996, p. 73-89.
17. Cité d'après Auguste Jundt, Histoire du panthéisme populaire au Moyen ge et au XVIe siècle (suivie de pièces inédites concernant les frères du Libre-Esprit, Maître Eckhart, les libertins spirituels, etc.), Paris 1875, Francfort-sur-le-Main, Minerva 1964, p. 51-52.
18. Poésies mystiques et prière de (et autour de) Maître Eckhart, trad. et présentation Wolfgang Wackernagel, Genève, Ad Solem 1998, p. 93 s. Voir aussi mon article intitulé "Maître Eckhart et le discernement mystique. A propos de la rencontre de Suso avec 'la (chose) sauvage sans nom'", in Revue de Théologie et de Philosophie, 129, Lausanne 1997, p. 113-126.
19. Predigt 86, in: Meister Eckhart, Die deutschen Werke, vol. III, (DW III), edité par Josef Quint, Stuttgart, Kohlhammer 1958 s., p. 361 / trad. Jeanne Ancelet-Hustache, Maître Eckhart, Sermons Tome III (Anc. 3), Paris, Éd. du Seuil 1979, p. 178.
20. Alain de Libéra, trad., Maître Eckhart, Traités et Sermons, Paris, Flammarion 1993, p. 407-415.
21. Cf. Winfried Trusen: Der Prozess gegen Meister Eckhart, Vorgeschichte, Verlauf und Folgen. Rechts- und Staatswissenschaftliche Veröffentlichungen der Görres-Gesellschaft. Neue Folge, Heft 54. F. Schöningh, Paderborn, Munich, Vienne, Zurich 1988. Heinrich Stirnimann et Ruedi Imbach, (éds), Eckhardus Theutonicus, homo doctus et sanctus. Nachweise und Berichte zum Prozess gegen Meister Eckhart, Fribourg CH, Universitätsverlag 1992.
22. Platon, uvres complètes, trad. L. Robin et M.-J. Moreau, Paris, Gallimard/La Pléiade, volume I, p. 359.
23. Sudermann ayant consacré une bonne partie de sa vie à déchiffrer et à copier de vieux manuscrits, a certainement lu cette information quelque part. Dans le catalogue de son importante collection, il dit que "de nombreuses bonnes choses (concernant Eckhart et Tauler) ont été omises dans les livres imprimés". Cf. Ingeborg Degenhardt, Studien zum Wandel des Eckhartbildes, Leyde, E. J. Brill, 1967, p. 90-102; notes 1 p. 93 et 2 p. 94.
24. Exode 22,17/18 selon la traduction de la Vulgate, seule référence pour le Moyen ge: Maleficos non patieris vivere.e d'un dévot ou d'un prêtre. Le temple de Dieu, c'est évidemment aussi et d'abord notre corps, mais au même titre, c'est la terre sur laquelle il nous est donné de vivre.

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